Les ruches urbaines, un danger pour les abeilles sauvages


Les ruches urbaines, un danger pour les abeilles sauvages:

La multiplication des ruches en ville peut compromettre la survie des autres pollinisateurs, qui n’ont plus assez de fleurs à butiner.

Dans ce petit cabanon du square Georges-Brassens du XVe arrondissement de la capitale, le bourdonnement est permanent. Ce n’est pas une climatisation ou un générateur mais bien le bruit d’abeilles par milliers. À l’extérieur, tout juste équipés de voilettes pour couvrir leur visage, des étudiants en écologie ouvrent les ruches en bras de chemise et à mains nues. Dans la chaleur de ce début d’été, certains sont même en short. Force est de constater qu’avec ces hyménoptères citadins et pas farouches, aucune piqûre n’est à signaler, après plus d’une heure à manipuler les ruches.

Il n’y a ici ni coup de chance ni hasard. Ces abeilles particulièrement douces sont des Buckfast, une race hybride importée d’Angleterre. Comme toutes les abeilles «domestiques», elles ont été sélectionnées et croisées pour être rendues plus résistantes aux acariens, moins agressives et plus productives.

À Paris, on compte déjà plus de 700 ruches, chacune abritant 50.000 abeilles environ. On peut ainsi estimer qu’elles sont plus de 35 millions à butiner dans la capitale

Dans les jardins publics, sur les toits (dont celui du Figaro), ou même sur celui de l’Opéra Garnier, les ruches urbaines fleurissent ainsi, sans gêner les habitants. Les entreprises y voient un moyen de sensibiliser leurs employés aux problématiques de biodiversité tout en créant du lien entre les salariés (sans parler des récoltes de miel qui sont souvent vendues en interne). Rien qu’à Paris, on compte déjà plus de 700 ruches, chacune abritant 50.000 abeilles environ. On peut ainsi estimer qu’elles sont plus de 35 millions à butiner dans la capitale. Soit plus d’une quinzaine par habitant.

A priori, il n’y a là que des raisons de se réjouir quand, dans le même temps, les populations d’abeilles connaissent un déclin terrible dans le monde entier. Pourtant, ces ruches urbaines ont un effet collatéral: ces abeilles prendraient le pas sur leurs cousines sauvages. Car à côté de nos abeilles à miel vivent pléthore d’autres espèces plus fragiles et plus vulnérables.

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«Les villes sont devenues un refuge pour les insectes, reconnaît Isabelle Dajoz, professeur d’écologie à l’université Paris-Diderot. C’est paradoxal, mais vrai pour tous les pollinisateurs. On trouve désormais une diversité plus grande en ville qu’en milieu agricole. Les ressources en fleurs ont beaucoup diminué dans les campagnes à cause des herbicides. Les insectes sont aussi moins exposés aux produits chimiques en ville que dans les champs.»

«On a estimé le nombre maximum d’abeilles que peut accueillir une ville fleurie comme Paris. Or, en comptant seulement les abeilles domes­tiques, ce plafond est d’ores et déjà atteint»

Mais les villes restent des territoires fermés avec un nombre de fleurs limité. À Paris, on dénombre ainsi 80 espèces d’abeilles, domestiques et sauvages, qui se partagent le ciel et les fleurs. «On a estimé le nombre maximum d’abeilles que peut accueillir une ville fleurie comme Paris, raconte Isabelle Dajoz. Or, en comptant seulement les abeilles domestiques, ce plafond est d’ores et déjà atteint. Cela veut dire qu’il n’y a plus de place pour les abeilles sauvages dans la capitale!»

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Une concurrence sévère entre les différentes espèces, qui plus est, très déséquilibrée. Les abeilles domestiques vivent dans d’immenses colonies avec plusieurs dizaines de milliers d’individus, alors que les abeilles sauvages vivent en tout petit cheptel. Et les néonicotinoïdes, qui touchent indifféremment les unes et les autres, ne sont pas les seuls ennemis des hyménoptères. «En ville comme à la campagne, la météo et les parasites peuvent être dévastateurs pour les colonies», rappelle Thierry Duroselle, président de la Société centrale d’apiculture. Cette société savante, créée en 1855, gère plusieurs ruchers répartis dans toute la ville (dont celui du square Georges-Brassens). «Or les abeilles sauvages sont beaucoup moins bien protégées, car aucun apiculteur ne viendra prendre soin de leurs nids.»

«Abeilles sauvages et abeilles domestiques ont des rôles bien différents. Les abeilles domestiques ne sont pas capables de butiner toutes les fleurs. Par ailleurs, leur efficacité pollinisatrice est souvent moins bonne»

Ces dernières produisent peu ou pas de miel et sont donc beaucoup moins intéressantes pour l’homme. Au premier regard, leur disparition n’aurait donc rien de très embêtant: un pollinisateur prend la place d’un autre. Tant que la population globale d’abeilles reste élevée, le job est fait.

« Mais les choses ne sont pas aussi simples, avertit la chercheuse. Abeilles sauvages et abeilles domestiques ont des rôles bien différents. Les abeilles domestiques ne sont pas capables de butiner toutes les fleurs. Par ailleurs, leur efficacité pollinisatrice est souvent moins bonne. Les espèces qui assurent par exemple la pollinisation des fraises ou des tomates ne sont pas domestiques mais principalement des bourdons (qui n’est pas le mâle de l’abeille, mais bien une espèce à part entière, NDLR). Les espèces ne sont pas interchangeables.»

Faut-il donc supprimer les ruches de nos toits? Ou bien remplacer nos abeilles domestiques par certaines de leurs cousines? «Il faut surtout être raisonnable, estime Thierry Duroselle. Avec la Société centrale d’apiculture, nous installons très peu de ruches et nous les utilisons dans un objectif pédagogique. On les installe toujours dans des lieux où on pourra combiner qualité de l’environnement et possibilité d’observer les abeilles sauvages. Le travail de sensibilisation est essentiel, particulièrement avec les plus jeunes.»

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Le premier rucher pédagogique à Paris a été ouvert au jardin du Luxembourg en 1856 et est encore utilisé aujourd’hui. Des classes viennent régulièrement le visiter tout au long de l’année. Mais les formations ne sont pas réservées aux enfants: apprendre aux apiculteurs à lutter contre les infections et les parasites est un point crucial. En protégeant leurs abeilles domestiques, ils limitent aussi les risques de transmission aux espèces sauvages.

«Tout un chacun peut venir en aide aux abeilles sauvages, conclu Isabelle Dajoz. En évitant de tondre trop régulièrement sa pelouse par exemple, pour laisser des fleurs aux pollinisateurs et leur permettre de se nourrir. Et en évitant d’utiliser des herbicides. Pour ceux qui veulent à tout prix produire leur propre miel maison, n’installez pas plus de ruches que le milieu ne puisse en supporter.» Mais pour les futurs apiculteurs de la capitale, il semble qu’il soit d’ores et déjà trop tard.

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