La France décore une membre du gouvernement Orbán de la Légion d’honneur


La France décore une membre du gouvernement Orbán de la Légion d’honneur:

Lundi 29 janvier, l’ambassade de France à Budapest a remis la Légion d’honneur à une membre du gouvernement Orbán. Une distinction qui intervient alors qu’Emmanuel Macron se pose en adversaire du dirigeant hongrois sur le plan européen.

La plus haute distinction française a été remise, lundi 29 janvier, à une membre de l’exécutif hongrois. Katalin Novák, secrétaire d’État à la famille, à la jeunesse et aux affaires internationales, s’est vu décorer de la Légion d’honneur au cours d’une
réception donnée à l’ambassade de France à Budapest. Ce geste des autorités françaises est pour le moins étonnant, alors que le président Emmanuel Macron se pose, depuis septembre, en défenseur du libéralisme pro-européen par opposition à Viktor
Orbán et à sa démocratie illibérale.

Cette décision, prise par l’Élysée sur proposition du ministère des affaires étrangères et de la grande chancellerie de la Légion d’honneur, que dirige le général Puga (chef d’état-major particulier du président de la République sous Nicolas Sarkozy puis
sous François Hollande, mais également, comme l’expliquait cette enquête de Thomas Cantaloube, personnalité issue de la mouvance catholique intégriste),
est loin d’être anodine.

Katalin Novák est aussi vice-présidente du Fidesz, le parti ultraconservateur de Viktor Orbán. Elle est aussi, depuis le début du quatrième gouvernement Orbán, l’une des figures les plus mises en avant par le pouvoir à Budapest, à la tête de la politique
familiale menée par l’exécutif hongrois, très offensive depuis quelques mois. Une campagne médiatique et une consultation nationale sur la base de questions très orientées ont été menées pour promouvoir le modèle nataliste et traditionaliste du Fidesz,
tandis que parallèlement, les études de genre ont été bannies des universités hongroises.

Novák, qui présente un visage moins agressif qu’Orbán tout en étant opposée à l’avortement et favorable aux politiques contre les réfugiés de son premier ministre, parle volontiers dans les médias étrangers pour faire la communication de son gouvernement.
En décembre, France 24 lui offrait un plateau avec un quart d’heure d’entretien exclusif.

Tweet de Katalin Novák, le 28 janvier 2019.

Pourquoi les autorités françaises ont-elles décidé d’honorer cette secrétaire d’État, qui est également l’une des deux seules femmes, avec Andrea Bártfai-Mager, du gouvernement élargi de Viktor Orbán ? Katalin Novák est parfaitement
francophone et a fait une partie de ses études en France. Elle est aussi à la tête du groupe d’amitié franco-hongrois au Parlement de Budapest. Cela suffit-il pour se voir décorer de la Légion d’honneur, quelles que soient les opinions politiques
défendues ?

« En reconnaissance et remerciement de son engagement en faveur de la langue française et du renforcement des relations franco-hongroises, Mme Katalin Novák, Secrétaire d’État à la Jeunesse et à la Famille, a été décorée le 28 janvier en la Résidence de France, de l’insigne de Chevalier de la Légion d’honneur »,
est-il sobrement mentionné sur le site de l’ambassade, qui affiche deux photos de la cérémonie où l’on peut voir la secrétaire d’État entourée de Benoît Puga et de Pascale Andréani, l’ambassadrice de France à Budapest.

Contactée par Mediapart, la grande chancellerie de la Légion d’honneur explique : « Cette dame a étudié à Sciences-Po puis a fait un cursus à l’ENA. Elle est décorée pour son action au profit de la francophonie. » L’institution
n’y voit pas de malaise. « La grande chancellerie regarde si, oui ou non, les personnes proposées par le ministère des affaires étrangères pour la décoration sont en conformité avec le code de la Légion d’honneur. Nous ne faisons pas de politique. Nous suivons deux principes : récompenser les citoyens français pour leur action au profit de la nation, et récompenser les citoyens de l’étranger qui accompagnent la politique étrangère de la France. » Pas de politique, mais une distinction pour des personnes qui accompagnent la politique étrangère… La nuance est tenue.

La secrétaire d’État hongroise Katalin Novák entourée du Grand Chancelier de la légion d’honneur Benoît Puga et de l’ambassadrice de France à Budapest, Pascale Andréani. © Site de l'ambassade de France à Budapest

La secrétaire d’État hongroise Katalin Novák entourée du Grand Chancelier de la légion d’honneur Benoît Puga et de l’ambassadrice de France à Budapest, Pascale Andréani. © Site de l’ambassade de France à Budapest

La décision d’attribuer la Légion d’honneur à une personne de l’étranger se fait en principe sur la proposition du ministre des affaires étrangères, sur recommandation de ses ambassadeurs. Elle est ensuite examinée par la grande chancellerie, laquelle
émet un avis. En moyenne, seules 15 % des propositions sont rejetées. Celle d’honorer Katalin Novák a reçu un avis favorable, puis elle a été validée par le président de la République. Comme pour les autres Légions d’honneur attribuées aux citoyens
étrangers, qui restent à la discrétion du Quai d’Orsay, elle n’a pas été publiée au Journal officiel.

Ce n’est pas la première fois que la diplomatie française se rate à Budapest. Le 29 juin dernier, Mediapart révélait l
e contenu d’une note diplomatique dans laquelle l’ambassadeur de France à Budapest du moment, Éric Fournier, assurait que les dérives autoritaires du gouvernement de Viktor Orbán étaient une pure invention médiatique. Il y vantait le « modèle » promu par le numéro un hongrois sur la question migratoire et qualifiait de « fantasmagoriques » les accusations de « populisme » formulées au sujet de Budapest.

Éric Fournier était connu depuis longtemps dans les milieux diplomatiques pour son empathie envers Viktor Orbán. Malgré cet affichage en contradiction de la ligne élyséenne, Macron l’avait maintenu en poste tout au long de sa première année de mandat.
Le lendemain de la publication de notre article, le remplacement de l’ambassadeur à Budapest était annoncé.

La nomination de Pascale Andréani à sa place devait clarifier la ligne de la France vis-à-vis de Budapest. Sept mois plus tard, la décoration de la secrétaire d’État hongroise montre qu’à l’évidence, cela n’a pas été le cas. Certes, la décision de remettre
cette Légion d’honneur a pu être prise sous son prédécesseur. Mais la nouvelle ambassadrice avait la possibilité d’émettre un avis défavorable, et Benoît Puga, Jean-Yves Le Drian ou Emmanuel Macron pouvaient bloquer la procédure. Rien de tout cela
n’est arrivé.

De fait, il est exceptionnel que le gouvernement français revienne sur une décision d’attribution de la Légion d’honneur. Une fois que les récipiendaires sont prévenus de leur future distinction, un
rétropédalage enverrait un signal que les autorités françaises sont rarement prêtes à assumer. Face au cas d’un gouvernement qui se radicalise, et alors que les médias progouvernementaux hongrois ont fait de Macron leur bête noire, la frilosité l’a
emporté.

Les intérêts économiques ne sont sans doute pas étrangers à cet arbitrage. Il se trouve que Jean-Yves le Drian et son homologue hongrois Péter Szijjártó ont scellé, en décembre, un accord portant sur la vente de vingt hélicoptères Caracal d’Airbus à l’armée
hongroise, d’après le Courrier d’Europe centrale. « Sur certaines questions politiques, nous ne sommes pas d’accord, mais nous avons convenu du fait que ce serait une perte de temps d’en discuter, nous allons donc nous en tenir à des questions économiques réelles et importantes »,
avait alors déclaré le ministre hongrois des affaires étrangères.

Signe de l’embarras des services français sur cette attribution de la Légion d’honneur, l’Élysée n’a pas donné suite à nos demandes d’éclaircissement. Les différents services contactés, à Paris et à Budapest, se renvoient la balle. « Nous avons des relations de travail constantes avec la Hongrie et, comme chez tous nos partenaires notamment européens, ce type de distinction n’a rien d’anormal », explique une source diplomatique, faisant abstraction du message politique renvoyé par cette décoration. Signe, aussi, de la volonté de neutraliser le sujet, c’est
le général Puga lui-même qui a remis la distinction dans l’enceinte de l’ambassade française à Budapest, alors que selon le protocole habituel, c’est un représentant du gouvernement français qui préside ce type de cérémonie.

Par ailleurs, la réception donnée à l’occasion de cette remise de la Légion d’honneur interroge. Comme le révèle le Courrier d’Europe centrale,
toute la garde rapprochée du premier ministre hongrois était présente : le président du Parlement László Kövér, le chef du cabinet du premier ministre Gergely Gulyás, le ministre de la justice László Trócsányi, l’ancien ministre des ressources
humaines Zoltán Balog et l’épouse de Vikor Orbán, Anikó Lévai. Il y avait également la directrice du musée de la Terreur, Mária Schmidt, figure idéologique de premier plan du système Orbán.

En novembre 2017, Emmanuel Macron avait annoncé son intention de réduire le nombre de récipiendaires de la Légion d’honneur. Il fixait l’objectif
suivant : « 25 % de moins à des étrangers, pour restaurer l’exigence attachée à la plus haute distinction française. »

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