Enquête sur le squelette d’un général de Napoléon


Enquête sur le squelette d’un général de Napoléon:

La dépouille retrouvée lors de fouilles archéologiques russes pourrait être celle de Charles Etienne Gudin. Un événement vécu en direct par son descendant. Par François Malye, Marc Leplongeon et Mikhail Yefimkin (en Russie)

La nouvelle est tombée comme un boulet de canon dans le salon du château de Rère. A 2 500 kilomètres de là, un squelette vient d’être retrouvé par les archéologues russes, à 1,60 mètre de profondeur, dans les
débris d’un cercueil fait de différents alliages de bois, au sommet du bastion royal de la citadelle de Smolensk. Tout indique – même s’il faut attendre la confirmation ultime des analyses ADN – qu’il s’agit bien de la dépouille du général Charles
Etienne Gudin, ancêtre d’Albéric d’Orléans, 47 ans, l’un des premiers à apprendre l’information, dimanche 7 juillet, par un appel téléphonique de l’équipe sur place. Les mâchoires du descendant se serrent. Puis vient l’émotion, intense, à l’idée
que le corps de son aïeul roulera bientôt vers Moscou, la ville qu’il aurait dû atteindre à la tête de sa division s’il n’avait pas été fauché par un boulet russe le soir de la sanglante bataille de Valoutina, le 19 août 1812, puis amputé par
le baron Larrey, avant d’agoniser dans les bras de Napoléon. La cérémonie de son inhumation, grandiose, sur fond de Smolensk en flammes, dans l’un des bastions de la citadelle, ayant été largement documentée par les mémorialistes de l’époque,
peu de doutes subsistent. Le scénario aurait pu être tout autre si un pylône électrique, planté à quelques dizaines de centimètres du crâne du défunt, avait pourfendu le squelette… Déjà abîmée par les écoulements d’eau et dans un état de conservation
moyen, il ne serait sans doute plus resté grand-chose de la dépouille d’un des plus valeureux généraux de l’Empereur.


« Je demande que l’on rende honneur à la mémoire de mon aïeul comme à tous ceux qui sont morts pour la France. En raison de son grade et des états de service, une cérémonie aux Invalides me paraît légitime », réagit Albéric. Autour de la table massive, les trois jeunes enfants d’Albéric et de Maria, Russe née à Iekaterinbourg, gardent le silence, comme habitués aux coups du destin. Ils sont les descendants d’une famille française recomposée après les
divorces de la Révolution et de l’Empire, qui a donné des généraux et des hommes d’Etat en pagaille à la nation. Dans la salle de billard, aux côtés du tableau du général Gudin, il y a le portrait du maréchal Edouard Mortier, duc de Trévise, celui
qui, sur ordre de Napoléon, fit sauter le Kremlin fut nommé ensuite ambassadeur en Russie avant de tomber avec 17 Parisiens sous les balles de la machine infernale de Fieschi,
le 28 juillet 1835, en voulant protéger le roi Louis-Philippe. Sa fille, Eve, épousa César Gudin, le fils du général. Après la mort de son père à Valoutina, César est engagé par Napoléon comme page. Il a 14 ans. A Waterloo, il est aux côtés de
l’Empereur quand le dernier carré français tombe et parvient à s’enfuir. D’une défaite à l’autre, il finira sa carrière militaire après Sedan, en 1870. Sa fille, Louise, épousera Albéric d’Orléans, comte d’Orléans, issu d’une vieille famille de
chevalerie française, qui n’a rien à voir avec la famille prétendante au trône. Le château situé en Sologne, avec sa chapelle, ses portraits d’ancêtres, est l’une des plus vieilles maisons de famille de France, propriété des Orléans depuis 22
générations. Mais elle vient de se résoudre à le vendre. Dans les vastes pièces, argenterie et vaisselle armoriées sont prêtes pour l’emballage. Albéric et Maria ont tenu dix années après avoir transformé le château en chambres d’hôtes et en lieu
d’événements, mais ont dû se décider à abandonner. A ce choc vient aujourd’hui s’ajouter la découverte du corps de leur ancêtre dans des circonstances rocambolesques.

Alliance franco-russe.« Je ne veux pas jeter d’huile sur le feu, car je sais que cette affaire est éminemment politique et qu’elle va déranger un certain nombre de personnes, poursuit Albéric. Mais il a droit à cet hommage. Il a tout donné à la France. Il fait partie de l’identité de ma famille, mais aussi de celle de notre pays. » Il dit cela d’un ton posé, mais on sent bien que le sang des Gudin coule dans ses veines. Dit autrement, depuis que Jacques Chirac a décidé, en 2005, de fêter la défaite
de Trafalgar aux côtés des Anglais plutôt que de célébrer la victoire d’Austerlitz, l’épopée napoléonienne est loin de faire recette chez les politiques. Tout se complique quand on sait que celui qui est à l’origine de cette découverte, Pierre
Malinowski, 32 ans, président de la Fondation pour le développement des initiatives historiques franco-russes, est un personnage sulfureux, ancien militaire, assistant parlementaire éphémère de Jean-Marie Le Pen en 2015 et l’un des exécutants de l’exfiltration des pilotes d’« Air Cocaïne ». Reconverti dans les projets archéologiques, Malinowski, fort en gueule, sait se faire des amitiés dans tous les milieux, y
compris politiques. Il a su nouer des liens privilégiés au Kremlin et a rencontré Vladimir Poutine à plusieurs reprises.

Le Point l’avait suivi au début des fouilles à Smolensk en mai, avec les 16 archéologues de l’Inrap qu’il avait sollicités sur ce projet et qui avaient pris sur leurs congés pour tenter de retrouver la tombe du général Gudin. Aux côtés de
leurs homologues russes, les experts français avaient également fouillé le champ de bataille de Valoutina, où des milliers de soldats étaient tombés au combat, mis au jour un charnier et trouvé quelques magnifiques reliques de 1812, dont des morceaux
d’uniforme en excellent état de conservation. « La découverte du squelette du général Gudin est exceptionnelle, juge Frédéric Lemaire, archéologue à l’Inrap, qui menait la mission scientifique française en mai. C’est simple, on n’a jamais découvert de sépulture d’un officier de ce rang-là, tué au combat et ce quel que soit le conflit. » Camarade de classe de Napoléon à l’Ecole militaire de Brienne, Charles Etienne Gudin était l’un des plus brillants divisionnaires de la Grande Armée, promis au maréchalat. Son nom, gravé sous l’arc de triomphe de l’Etoile, a été donné à une rue
du 16 e arrondissement et son cœur fut placé au cimetière du Père-Lachaise, à Paris. Il s’était illustré dans de nombreuses batailles – Auerstaedt, Eylau, Wagram -, était l’ami du maréchal Davout et, après l’avoir
âprement discuté, exécutera l’ordre stupide que lui donne le maréchal Ney, excédé de ne pas parvenir à bout de l’arrière-garde russe qui tient le plateau de Valoutina. Cette dernière charge à la tête de ses hommes lui sera fatale. « Quand la nouvelle de ce malheur parvint chez l’Empereur, elle y suspendit tout, discours et actions. (…) La victoire de Valoutina ne parut plus un succès », écrivit le comte de Ségur. De toutes les dotations pour les généraux tués en Russie, c’est à sa veuve, mère de cinq enfants, dont le portrait trône dans l’une des pièces d’apparat
du château de Rère, que Napoléon fera la plus importante.

Héritiers. Albéric d’Orléans, son épouse russe, Maria, et leurs trois enfants, en leur château de Rère, en Sologne, le dimanche 7 juillet.

Fûts de canon. A Smolensk, le chef des archéologues, Aleksandr Khokhlov, membre de l’Académie des sciences, ne cache pas sa satisfaction, après plus de deux mois de fouilles accomplies selon la méthode russe, entièrement manuelle,
c’est-à-dire à la pelle, là où les Occidentaux ont mécanisé leurs recherches. « Nous avons procédé par le biais d’un décapage du sol, couche par couche, pour faire apparaître les différentes périodes de l’Histoire. Puis, lorsque nous avons trouvé le cercueil, nous avons travaillé avec des couteaux, des cuillères et des pinceaux. » Le travail a ensuite consisté à comparer le corps et sa sépulture avec la description qu’en faisaient, au XIXe siècle, plusieurs témoins de la bataille et de l’inhumation. Le fait qu’il manque une jambe au squelette
correspond ainsi parfaitement au récit selon lequel le général avait été amputé d’un de ses membres inférieurs par le baron Larrey, trois jours avant de mourir. En 1839, l’historien François-Xavier de Feller évoquait également la tombe de Gudin,
dans le bastion « à droite de la porte en entrant », au cœur de la citadelle de Smolensk. « Le colonel d’artillerie Marion avait commencé à lui ériger un mausolée composé de quatre canons de fer supportant la toiture de métal. Les événements de la guerre s’opposèrent à l’achèvement de ce monument », écrivait Feller. Or les archéologues ont pu dénombrer, selon Khokhlov, six trous ronds, formant des cercles dans le sol, qui correspondent ainsi aux canons évoqués en 1839. Et Khokhlov de commenter : « C’est le fait archéologique absolu qui coïncide avec les écrits historiques. » En revanche, aucun effet personnel n’a pu être retrouvé, la tombe ayant sans doute été pillée.

De nombreuses analyses sur les os vont être menées en laboratoire par des anthropologues, dont des expertises ADN. La nouvelle, qui a fait la une du journal télévisé en Russie lundi soir, est accueillie avec stupéfaction à Paris. Thierry Lentz, patron
de la très officielle Fondation Napoléon, informé du déroulé des fouilles depuis deux mois mais resté sur la réserve, reconnaît désormais sans peine que la découverte est exceptionnelle : « Elle appelle un hommage officiel, sinon national, car Gudin était l’un des plus importants généraux de la campagne de Russie. » Dans son château, au fond de la Sologne, Albéric a un autre souhait : que le corps de son aïeul repose en terre de France avec ceux de sa famille. Après, naturellement, une cérémonie aux Invalides. Une nouvelle occasion, pour Vladimir Poutine,
après sa visite à Versailles en mai 2017, de poser avec Emmanuel Macron ? Ce serait cette fois devant le temple de la gloire militaire française§

Charles Etienne Gudin (1768-1812)


Camarade de classe de l’Empereur, le général Gudin était un des plus brillants divisionnaires de la Grande Armée. « Toute l’armée le pleure, dira un soldat à sa mort, dans une lettre datée du 22 août 1812. (…) Il était aussi
brave qu’habile. C’était un lion au combat ; et dans le monde, il était impossible d’avoir plus de douceur et d’aménité. »

L’hommage de l’Empereur

« Madame la Comtesse Gudin, je prends part à vos regrets ; la perte est grande pour vous ; elle l’est aussi pour moi. Vous et vos enfants aurez toujours des droits auprès de moi. Le ministre secrétaire d’Etat vous expédie
le brevet d’une pension de douze mille francs que je vous ai accordée sur le Trésor de France, et l’intendant du domaine extraordinaire vous fera parvenir le décret par lequel j’accorde une dotation de quatre mille francs à chacun
de vos enfants cadets avec le titre de baron. Elevez-les dans des sentiments qui les rendent dignes de leur père. » (Moscou, le 15 octobre 1812.)

Elena Chernyshova/Panos/RÉA POUR « LE POINT » (x12) – RMN – Khanh renaud pour « Le Point »

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