Bernard Cerquiglini: «La loi Toubon n’est pas obsolète»


Bernard Cerquiglini: «La loi Toubon n’est pas obsolète»:

Vingt-cinq ans après l’adoption de la loi Toubon, le linguiste défend la nécessité d’une telle législation.

LE FIGARO.- Vous étiez délégué général à la langue française en 1992. Comment fut perçue cette loi?

Bernard CERQUIGLINI. – Jacques Toubon fut sidéré par l’accueil négatif fait à sa loi. Il pensait que celle-ci aurait le même sort que la loi Bas-Lauriol (1975) qui avait été votée à l’unanimité par le Parlement. Or cette fois, il y a eu une
bronca des socialistes et un accueil mauvais de la presse. C’est d’autant plus paradoxal que cette loi est à l’initiative de la gauche.

Pourquoi ce haro?

Si l’on creuse un peu, on s’aperçoit que la publicité y était bien plus visée que dans la loi de 1975. Certes, elle rendait obligatoire l’usage de la langue française dans la publicité écrite et parlée. Mais elle n’avait jamais vraiment été appliquée.
A contrario, le texte de Jacques Toubon dit que tout emprunt anglais est prohibé dans la publicité s’il existe un
mot français de sens équivalent. Cela n’a pas plu. Les grandes agences de publicité ont fait du «lobbying» contre ce projet. Elles pensaient que l’anglais était moderne et susceptible d’attirer des clients. Aujourd’hui, les mots anglais figurant
dans la publicité sont traduits, mais en bas et en tout petit caractère. Alors que dans le projet de loi, il est dit que la traduction doit être aussi lisible que l’anglais.

Pourquoi le Conseil constitutionnel a-t-il partiellement censuré cette loi?

Il a estimé que les slogans publicitaires relevaient de la liberté d’expression. Ce faisant, il a fragilisé la loi qui n’a pas pu servir de digue aux anglicismes.

«Selon moi, il faudrait donc, permettre à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d’intervenir quand une affiche est uniquement rédigée en anglais.»

Bernard Cerquiglini

La loi Toubon est née avant Internet. N’est-elle donc pas aujourd’hui obsolète?

Quand elle a été votée, Internet n’avait pas l’importance qu’il a aujourd’hui c’est vrai. Cependant, la loi est appliquée encore aujourd’hui. Des amendes sont infligées, quoique de façon annexe. Selon moi, il faudrait donc, permettre à la Direction
générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes d’intervenir quand une affiche est uniquement rédigée en anglais.

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Une loi sur l’emploi du français est-elle utile sachant que l’usage a toujours le dernier mot?

La loi Toubon est bonne. Le dispositif de production de termes nouveaux, mené par la Commission d’enrichissement à la langue française, donne de bons résultats. Beaucoup de mots français se sont imposés. Aujourd’hui, infox s’installe à la place de
«fake news». Quand un mot recommandé s’impose, on ne s’en aperçoit pas. Le succès de la production terminologique est de passer en quelque sorte inaperçue.

L’ennemi, ce n’est pas l’anglais, mais le globish.

Oui, c’est ce très mauvais anglais lamentable qui fait ombre à la grande et belle langue anglaise. Le globish n’est la langue de personne. C’est un mythe de modernité universelle qui a la faveur des publicitaires et des branchés.

Dans une interview de 2014, vous disiez que la loi Toubon renforce la francophonie. Il ne s’agit donc pas d’une loi franco-française comme on a voulu le dire?

Quand la France décide cette loi, elle s’inspire du modèle québécois très combatif (Loi 101). C’est significatif! Mais la loi Toubon a eu des émules jusqu’en Hongrie. Elle n’est pas une loi puriste qui défend le beau langage. C’est une loi sur la
citoyenneté de la langue et sur son emploi. Pendant longtemps, la politique linguistique a été patrimoniale. Il fallait une politique civique de la langue qui permette de communiquer, de travailler et d’apprendre.

Pourtant, l’anglais est partout à la télévision, dans les slogans…

C’est navrant. On le retrouve à la SNCF mais également à l’aéroport. Lorsqu’on arrive à Charles- de-Gaulle, on est accueilli par cette phrase «Bienvenue in France».
Les Québécois sont consternés en lisant cela. C’est du sous-anglais! Hélas, les séries télévisées sont des œuvres de l’esprit, elles échappent donc à la loi. C’est pourquoi on voit de plus en plus de films en anglais. Je me demande si l’on ne
devrait pas faire comme au Québec et exiger des titres français…

Et que dire du slogan «Made for sharing» des JO de 2024 à Paris!

C’est un slogan de pizza. Il est contraire à la loi et aux dispositions olympiques. La Mairie de Paris a vraiment fait fort. Pourtant il y a des dispositifs: la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, qui veille au respect de cette loi, l’Académie française, dont c’est la mission, le militantisme de vous et moi… Cet
esprit du temps passera, même s’il est consternant. Attendons! Le temps joue pour nous.

La langue française n’a donc rien perdu de sa superbe?

Non. Certes, l’américanisme est galopant et il faut du temps pour le traduire, imposer d’autres mots. Mais on le fait. La loi Toubon n’est pas obsolète. Elle est née d’un sursaut civique, il faudrait la mettre à jour tous les ans. La langue française
a tous les outils qu’il faut pour résister, il lui manque seulement la conviction de ses usagers.

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